TOUJOURS ET JAMAIS Toujours et Jamais étaient toujours ensemble Ne se quittaient jamais On les rencontrait dans toutes les foires On les voyait le soir traverser le village Sur un tandem Toujours guidait Jamais pédalait C'est du moins ce qu'on supposait Ils avaient tous les deux une jolie casquette L'une était noire à carreaux blancs L'autre blanche à carreaux noirs À cela on aurait pu les reconnaître Mais ils passaient toujours le soir Et avec la vitesse... Certains les soupçonnaient Non sans raison peut-être D'échanger certains soirs leur casquette Une autre particularité Aurait dû les distinguer L'un disait toujours bonjour L'autre toujours bonsoir Mais on ne sut jamais Si c'était Toujours qui disait bonjour Ou Jamais qui disait bonsoir Car entre eux ils s'appelaient toujours Monsieur Albert Monsieur Octave * DES PANIERS POUR LES SOURDS Je n'ai jamais revu cet enfant silencieux Qui se lavait les yeux La nuit Dans les rivières Je ne l'ai pas revu Et ses amies les pierres Ne m'ont rien dit tout bas Il est près de la mer Et s'est crevé les yeux Il sort la nuit dans les clairières Et tisse avec ses paupières Des paniers pour les sourds * EPOUSE TA PARESSE Ce sont les pierres noyées Les racines les souliers Les vieux bidons rouillés Qui feront chanter la rivière Sois comme elle Epouse ta paresse Ne chante pas Sois (si tu le peux) Chanté * AMOURS AMOURS C'EST BIEN TOUJOURS LA MÊME MUSIQUE Ce long bruit de baiser Goulu et sonore Que fait en se vidant Le bidet * Les cailloux Me parlent Avec de l'ombre plein la bouche * D'HERBE NOIRE J'avais cueilli des fleurs pour traverser la mer Mais j'ai dormi près de l'étang Au milieu des chevaux Et l'aurore emprisonne mon bouquet d'herbe noire Je suis maintenant étendu sur le sable Je ne pars plus Je suis un petit aveugle Et j'ai tout un coucher de soleil sur les jambes * T'es fou ! Tire pas ! C'est pas des corbeaux ! C'est mes souliers ! Je dors parfois dans les arbres * Dans les chambres grises Dans les chambres bleues Dans les chambres ombreuses On fait du canot L'ombre des chambres est douce Aux navigants heureux Les arbres penchés sur eux Les algues dans leur sillage C'est leurs bras c'est leurs jambes C'est leurs cheveux C'est dans leurs propres yeux Qu'ils nagent * EN SILENCE Les insectes font leurs petits bruits Et leur petite farine Dans le creux des pierres Le temps passe Me passe S'entasse tout autour de moi Je continue à dire j'ai tout le temps Mais je ne peux plus bouger Je voudrais tricoter Des gilets pour les arbres * PETITE NUIT Quand il fait nuit La nuit se prend dans ses bras Et dort sur son épaule Comme un lilas * Je ne suis pas si fou De demander l'heure à mon chien Mais regardez Regardez donc Où mettrait-il sa montre Il n'a pas de poche Le pauvre à son gilet * JE NE SAIS PAS Je ne sais pas ce qui naîtra de mon ombre Si elle est le terreau ou la graine Si je suis un semeur ou un fossoyeur Ni si le champ existe Mais je sais Et c'est tout ce qui m'attriste Qu'on ne sème pas dans les rivières Ni les fenêtres * CALCULATEUR Je compte les jours Sur mes doigts J'y compte aussi mes amis Mes amours Un jour Je ne compterai plus que mes doigts Sur mes doigts * L'HIVER EST EN NOUS, MES DOUX ENFANTS, OUI, EN NOUS Cette cul de buée Sur cette fumier de vitre M'empêche de voir ces grands cons d'arbres * C'EST COMME SI Arrêtez-vous Un cheval trait un arbre Dans l'escalier Ce n'est pas vrai C'est un chat mort Qui dégringole Et joue à la balle Dans l'escalier Assez joué À déranger le jour sombre des choses L'escalier boit un arbre À la table du chat Accoudé tête basse J'étais là Sans y être Et sans n'y être pas * LE SERPENT C'est un serpent sans tifs Pensif et sans chien Qui s'en va à la chasse À la chasse à rien Mais moi qui suis plus malin Je reste à la maison Les pieds dans les tisons Qui s'attisent et s'excitent En sifflant La chanson du serpent sans tifs Pensif et sans chien Qui revient de la chasse De la chasse à rien Toutes ses mains dans les poches Et la queue entre ses dents * L'OUVRIER ET LA MORT Quel est cet homme vêtu de bleus d'ouvrier Qui avance vers une maison blanche Mon Dieu c'est moi Ce n'était pas un ouvrier. La maison blanche mon Dieu n'est pas terminée Et il a posé sa veste dans l'entrée. Puisqu'il n'est pas ouvrier Et qu'il a posé sa veste dans une maison incomplète Mon Dieu c'est qu'il est mort. Peut-on s'étonner alors Que les murs de la maison soient des miroirs Qu'il les ait tous brûlés. Mais on ne peut pas mon Dieu brûler les miroirs . * LO TO FOLO - Lo to folo lo toto. - Ko? Ko? Ko? Ko lo folo? - Lo toto. - Oh! Lo lo! Toto lo toto? - Toto! Lo to folo Mo lo po fo do miotto. Traduction littérale: Il a tout fêlé la tête. / Quoi ? Quoi ? Quoi ? / Quoi il a fêlé ? / La tête. / Oh ! là là ! / Toute la tête ? / Toute ! / Il l'a toute fêlée / Mais il n'a pas fait de miettes. N.B. Tous les O de ce poème sont des O fêlés c'est-à-dire ouverts.